La Consolation des violettes
Suite au décès de Jean-Marc Reilla l’un des membres du groupe, la question s’est posée à Rien Virgule sur la continuité ou pas de la formation. La réponse est l’ensorcelant La Consolation Des Violettes, voyage tripé derrière des miroirs fumés à l’abstraction sous-jacente.
Rien Virgule livre un nouvel opus miraculeux, requiem torsadé aux volutes industrielles teintées de mélancolie déviante et de soubresauts lunaires, où les mots s’étirent au loin sur des paysages désolés à la radio-activité contagieuse.
Les vague électriques déversent leur énergie sur des images aux noirs et blancs floutés par la douleur, captivant au sein de mélodies en chute libre, des étincelles de plasma cosmique prenant feu au contact d’astéroïdes
Tout aussi inclassable que Le Couronnement Des Silex, La Consolation Des Violettes est une oeuvre poétique en ébullition aux strates mouvantes, tourbillons glacés au milieu de paysages cinématographiques enrobés d’espace-temps en suspension au minimalisme cru. Vital.
Roland Torres pour Sound and Silence
Voici le disque français le plus impressionnant de cette fin d’année, qui surgit là où l’on attendait un grand vide de la part de Rien Virgule, groupe bordelais sans visages et sans mots en dehors de sa musique. Car, juste après la publication de son album précédent en 2019, le déjà remarquable Le Couronnement des silex, le quatuor a perdu un de ses membres, Jean-Marc Reilla, son faiseur de sons qui manipulait la matière musicale en studio comme sur scène où Rien Virgule était alors une aventure de spectateur incroyable. On pouvait légitimement se demander comment une équipe aussi unie pouvait se relever de ça et La Consolation des violettes est la plus magistrale des réponses : par la musique, plus passionnante et profonde que jamais.
Puisqu’il faut lâcher des pistes pour décrire le travail du désormais trio bordelais (Mathias Pontévia, Anne Careil, Manuel Duval), on pourrait empiler les aventures rythmiques à rallonge du krautrock allemand des années 1970 (on en reparle en face B), les collages sonores hérités de la musique concrète, la pop déstabilisante de Björk époque Vulnicura ou de The Knife, plus une tension qui lorgne vers le glam voire le black metal sans violence sonore. C’est déjà toute une aventure, qu’attaque d’entrée de jeu Apache, gouffre de mélancolie de douze minutes qui revendique fièrement la continuité totale avec le Rien Virgule à quatre. On y pénètre comme dans un immeuble à l’abandon, il y a des crépitements magnétiques inquiétants et un synthétiseur qui occupe mollement l’espace en jouant une lente marche. Puis il laisse entrer la voix unique d’Anne Careil, qui chante dans une langue toujours difficile à identifier (mais souvent en italien) comme on entre dans une cathédrale un jour de gloire.
Dès lors, on sait que Rien Virgule est toujours Rien Virgule, que le groupe a trouvé une façon de fonctionner à trois. Mieux, les mille objets sonores et perturbations électro-acoustiques qui faisaient l’épaisseur de leurs débuts et qui sortaient largement des mains de Jean-Marc Reilla sont toujours là. Le groupe n’a rien lâché, mais il a aussi avancé.
Bien sûr, La Consolation des violettes est quelque part un disque d’au revoir, mais pas seulement. Heureusement. Il n’a d’ailleurs pas choisi son titre par hasard, celui-ci est tiré d’un poème japonais du XVIIIe siècle signé Buson, grand maître des mots de son époque, qui dit en substance qu’il y a un après à tout :
« À qui vient de saisir les os du défunt La consolation Des violettes »
C’est consolation le mot important ici, tant le troisième album de Rien Virgule est tendu entre inquiétudes rentrées et explosions mélodiques chargées d’évacuer beaucoup de choses. Tout le monde peut avoir besoin d’un disque comme ça à un moment de sa vie et cela assure une durée de vie infinie à La Consolation des violettes. C’est un disque ombrageux, mais aussi de loin le disque le plus enlevé du groupe bordelais, qui ne s’interdit jamais de nous donner de grosses bouées de sauvetage à chanter dans la tempête, dans Tambour de Nacre ou Toque de clous par exemple. Tout autour, ça tournoie, ça tabasse fortement, ça secoue l’électronique et des rythmiques implacables qui n’auraient pas affaibli un disque de Can à la fin des années 1960. Quand Le Couronnement des silex devait encore beaucoup au psychédélisme, son successeur s’invente une nouvelle cinématographie plus insaisissable, portée par une lourdeur sonore (dans le meilleur sens du terme) qui pénètre en profondeur sous l’épiderme.
La Consolation des violettes est un grand disque complètement dans son monde et un objet qui s’écoute sur la longueur, encore et encore, comme on se répète une poésie obsédante pour essayer d’en percer les mystères. À rebours total de l’immédiateté qui règne sur la musique à l’ère du streaming, Rien Virgule dévoile plutôt un livre à mille pages, une cathédrale baroque fissurée de partout, qui laisse entrer la lumière autant que le vent le plus glacé. L’auditeur se tient impressionné face à ces éléments en essayant de ne pas se laisser emporter. Il en ressortira avec la certitude d’avoir un peu changé après une heure et dix minutes de musique totale.
Sophian Fanen pour « Les Jours »
Marqué par la perte d’un de ses membres, Jean-Marc, Rien Virgule s’est interrogé sur la marche à suivre; comment répondre à ce type d’épreuve? La réponse tient en ce disque flamboyant dans l’errance, La consolation des violettes, à l’écoute duquel l’intéressé aurait éprouvé une fierté non feinte. Anne Careil: Synthétiseur, chant; Mathias Pontevia: Batterie et Manuel Duval: Synthétiseurs, Samples, dans un unisson d’Apache(s), initient leur nouvelle épopée au son d’…Apache, au gré de douze minutes sombres où des samples barrés surgissent. Lent, mélodieux dans son parti pris expérimental, voilà une pièce que la voix vient magnifier, sans hâte, comme si elle prenait le temps de déposer ses mots. La magie est là, prête à foudroyer. Elle reste à apprivoiser, entendons-nous bien; Rien Virgule ne peut se ranger dans la caste des groupes policés. C’est ce qui fait, combiné à bien d’autres atouts, sa spécificité. Le titre éponyme, d’un format plus classique, souffle une trame que des sonorités récurrentes ponctuent alors que le chant dévie, épars. Saisissant, le climat subjugue autant qu’il désarçonne. Minimal, Rien Virgule induit des sensations maximales. Improvisé, dédié au “cheminement” sans règles castrantes, l’opus nous emmène dans des régions sonores dont on n’a pas fini de faire le tour, après moults détours que Tambour de nacre, indus, percussif, vocalement marquant -c’est une constante- amène à bifurquer une fois de plus.
Entre beauté, dans l’ornement, et versatilité, dans la direction empruntée, ces trois-là se trouvent. Des élans guillerets se font place, resplendissants, amorcés par l’organe d’ Anne. Tambour de nacre; un intitulé parfaitement seyant, dont les huit minutes passées malaxent les sens et laissent ensuite place à L’Ogresse amoureuse. Une autre aventure musicale bruissante, dérangée, d’une teneur bien au delà du définissable. A la fois spatiale, psyché et obsédante -on a droit, ici aussi, à des sons se répétant à l’envi-, l’ogresse ne se laisse pas dompter. Elle brille, dans le verbe, et suit un sentier détourné. D’une rare beauté, greffée à sa propension à “quitter la route”, Rien Virgule affirme, avec panache et dans une jolie fantaisie, son statut d’entité libre. Radio embryon, noir, alarme son monde. Le cri du typographe, un tantinet plus “enjoué”, vire presque au symphonique. Symphonique “maison”, toutefois, dans le bancal de génie. Des éléments variés, qu’on aurait pu croire contraires, s’allient en l’occurrence jusqu’à former un tout unique.
Avec Huso huso, court, un interlude dark assure la transition. Vers Il Mare Non Si Bagna Mai où l’usage de l’Italien (si j’ai bien tout saisi) étend notre impression de déracinement. Rythme entêtant, fond obscur, décor merveilleusement musical engendrent une accroche forte. On n’hésite guère, au mitan de ces embardées, à dissoner. On le fait bien, c’est même une spécialité chez Rien Virgule qui, dans le même mouvement, peut aussi et soudainement redresser la barre. On adore, ça va sans dire. En initié, on préfèrera La consolation des violettes à n’importe quel autre effort docile. Ficedula parva, dans une sorte de drone qui refuse de se départir de sa brume, poussera cependant l’exigence. Il s’agit évidemment, pour boire toute la sève de ce disque, d’être rompu à la consommation de son élixir. Il est de bon ton, également, d’aimer à se frotter à des méandres fréquents. Une fois l’effort consenti, c’est le départ pour un trip singulier, définitif ou presque.
Ainsi Toque de clous, aux allures d’orchestre titubant, gris, grisant, free jusqu’en ses derniers temps, nous y replonge t-il sans crier gare. L’univers de Rien Virgule se mérite, il s’adresse certes à une frange réduite mais constituée d’auditeurs ouverts et audacieux. La dépendance guette, L’errance des murs (on est, décidément, sur l’album ici décrit, dans le titre à la dégaine de stimuli mental) l’enracine une dernière fois en imposant ses grincements, ses montées et loopings, son chant une fois de plus séduisant dans son ombrage. Après 30 jours à grande échelle (2015) et Le couronnement des silex (2019), La consolation des violettes entérine une forme de trilogie de l’expérimentation concluante, aux vertus addictives insistantes et difficiles à endiguer.
Will Dum pour Muzzart
Le précédent album, Le Couronnement Des Silex, n’invitait pas à l’optimisme. Mais après le décès d’un des leurs (Jean-Marc Reilla), les trois autres membres de Rien Virgule ont décidé finalement de continuer, aller de l’avant et lui offrir en forme d’hommage un haïku de Yosa Buson d’où est extrait le titre de ce troisième album : à qui vient de saisir les os du défunt, la consolation des violettes.
Et c’est un magnifique bouquet que le désormais trio présente. Un double album, plus d’une heure pour dix compos, Rien Virgule n’a pas fait les choses à moitié. Et ça commence directement par le morceau fleuve, les douze minutes de Apache. Histoire de vérifier que la magie et le halo de mystère entourant la musique de Rien Virgule ne se sont pas évaporés avec les limbes d’un destin funeste. Enfer aux flammes éteintes, paysage lavé, le soleil brille en gloires. Le bruit, les rythmes, la mélodie, tout s’enchevêtre pour former un long serpent ondoyant sur leur vision artistique qui n’a jamais su s’arrêter sur un style en particulier.
La Consolation Des Violettes s’embellit au grand jour d’un travail encore plus poussé, détaillé, abondant et émouvant. Le trio tire tour à tour de longues mélopées étrangement mélancoliques, chancelantes et lancinantes, des mélodies traversés et triturées par un esprit fantasque et imprévisible, des airs d’improvisations où l’abstrait se soustrait à une poésie instable et touchante (Radio Embryon, Ficedula Parva), des sonorités en multitude issues des synthés et des sampleurs (Manuel Duval) qui mènent cette drôle de danse sans nom perpétuant l’approche de trafiquant de sons de Reilla. La recherche rythmique (Mathias Pontevia) est sans cesse étonnante bien qu’une impression diffuse laisse à penser/sentir que les rythmes ont pris moins d’importance. Par contre, les atmosphères sont de plus en plus belles et palpitantes (Tambour De Nacre, L’Ogresse Amoureuse), des atmosphères qui semblent avoir été flanquées au creux de montagnes impénétrables depuis que ces montagnes ont été flanquées là, elles semblent faire désormais partie de ce paysage qui a tout du mirage. Ça vous fiche des structures décharnées, élégantes, claudicantes (Toque De Clous) ou celle d’un vieux spectacle de fête foraine qui a mis son plus beau costume jauni pour son ultime tour de piste (Le Cri Du Typographe) avant de s’embarquer dans un tunnel noir tragique car la fin des morceaux n’a pas toujours de lien direct avec son début.
Et puis vous avez toujours le chant d’Anne Careil (également au synthétiseur) à nul autre pareil, d’une richesse et variété incomparables, toujours prêt à vous filer un frisson incroyable et qui porte plus que jamais la musique de Rien Virgule vers des sphères singulières et envoûtantes. Il faudrait encore des heures pour expliquer ce disque, tout ce qui s’y passe et ce que ça vous fait. Ce qui est un comble car La Consolation Des Violettes ne s’explique pas, ça se vit, ça se ressent, c’est du domaine de l’indicible, ça suit son chemin sur la crête de vos humeurs, ça vous met dans de drôles d’état avec des tremblements et des hallucinations, entre élévation et plongeon dans un goufre sans fond à l'instar de cette pochette donnant le vertige. Mais ce qui est sûr, c’est que le trio a réussi son adaptation forcée par la fatalité, que La Consolation Des Violettes est aussi brillant que magnétique et que vous ne trouverez pas deux groupes comme Rien Virgule. Point barre.
SKX (08/09/2021) Perte et Fracas
L’absence ne s’accommode pas des mots "comment" ou "que faire". Elle est là, étouffant de sa présence épouvantable, montrant avec son air tout aussi sévère que narquois, qu’à elle seule, elle démontre qu’il y a une vie après la mort, puisque ce vide prend une place que rien ne pourra combler. Quand Jean-Marc a été emporté, Anne, Mathias et Manuel se sont sentis en perdition, écartant l’idée de mettre un point final à cette aventure de deux albums, sans exclamation, mais laissant en suspension une question. À celle-ci « la consolation des violette » sera une réponse tout aussi inespérée que cathartique, tentative non pas de combler le manque, mais de dialoguer avec lui. Tiré d’un Haïku, le titre de l’album, qui est aussi celui du déchirant deuxième morceau, est tout aussi énigmatique qu’empreint d’une forme de souhait pieu, celui de trouver des réponses, non pas dans la brièveté, mais plutôt dans l’imprégnation du temps. En faisant de cet allié pas toujours infaillible la proposition la plus évidente pour accompagner le vide, le trio ne s’émancipe de rien, sauf peut-être d’une retenue qui aurait été compréhensible. En étirant au maximum ces compositions qui doivent autant à Robert Wyatt qu’à des compositions posts modernistes habillage des films muets dans des contrées lointaines, entre Carpates sous un halo de lumière en combat avec une brume tenace et steppe d’Asie à l’horizon impossible à rattraper.
Anne tient alors le rôle de mater dolorosa dénuée de la moindre gesticulation, éprouvant la douleur, la tordant, façonnant avec elle ces phrases comme des volutes s’immisçant dans les interstices d’une musique qui avance, le pas lourd, mais aussi vaillant et tenace que celui d’un sherpa le dos courbé par la charge, mais le regard fixe vers le sommet à atteindre. Mais Jean-Marc est là, présent dans la forme de chaos que le trio est parvenu à instaurer. Il se cache derrière le moindre accident, dans l’intervention des sons d’un quotidien que l’on ne regarde plus que par le prisme de la performance.
Disque épique, immense poème, « La Consolation des Violettes » est une œuvre qui prend aux tripes et nous donne des clés pour envisager l’absence, de lui donner un corps, pour mieux-vivre avec elle. Nous vivrons longtemps dans ce disque.
Gdo pour « à decouvrir absolument »
Le couronnement des silex
La formation Rien Virgule, composée par Anne Careil (synthétiseur, chant),
Mathias Pontevia (batterie), Jean-Marc Reilla (dispositif électro-acoustique) et Manuel Duval (synthétiseurs, samples) vient faire vriller nos neurones avec le sortie de son nouvel album Le
Couronnement Des Silex, construit à coups de chants incantatoires, de dérives krautrock, pavés de salves électro-acoustiques et d’expérimentations torsadées.
Difficile de décrire la musique du quatuor, tant elle fait référence à une foison d’autres univers, bien que développant une personnalité et une
singularité caractéristiques qui la rend unique et inclassable.
Au bord d’un précipice jazz et de musique érudite aux pulsions quasi mystiques, de recherches sonores échappées de seventies frappées d’Asperger, Le
Couronnement Des Silex brille de par son approche intellectuelle habitée d’animalité primitive et d’onomatopées surréalistes, de pulsions drones et de vrombissements explosifs.
Rien Virgule fait tache dans le paysage musical hexagonal, de par sa liberté totale et son expression bouillonnante, où libertaire rime avec
révolutionnaire, où créativité flirte avec célestialité. Les vocaux s’enrayent dans le flux de rythmes et de mélodies en roues libres, narration épileptique d’un chaos enivrant aux attaches
tribales. Vital.
Roland Torres, Silence and Sound
Une chronique tardive de l’album Le Couronnement Des Silex par Rien Virgule et dont l’écoute a pris une
tournure très triste. Un des membres du groupe, Jean-Marc Reilla, est décédé le 3 juin 2019 à l’âge de 44 ans, juste après la publication de ce second album. Quatre années de gestation à la suite
de Trente Jours À Grande Échelle pour accoucher dans la douleur de la part de ce groupe minutieux d’un disque qui prend un destin tragique.
Dans une présentation-biographie, Jean-Marc Reilla se définissait comme un forgeron. Je tord, chauffe les structures et manipule les sons et les
objets (...) ou invente des installations sonores afin de créer des sons et de les mettre en musique. Sur Le Couronnement Des Silex, il est crédité au poste de Dispositif électro-acoustique. Avec
l’aide de Manuel Duval (synthétiseurs, samples), Mathias Pontevia (batterie) et Anne Careil (chant, synthé), la musique de Rien Virgule n’est pas qu’une histoire d’ambiances, de textures sonores
et encore moins de techniques de bricoleurs de génie. La musique de Rien Virgule raconte une histoire. Elle vous prend par la main, elle vous emmène dans des contrées étranges et oniriques,
laissant divaguer les chimères entre peur et fantasmagorie, traçant sans sourciller sa route entre machinerie et organique, entre kraut-rock impressionniste, symphonie concrète et électro
minéral.
Cinq longues compositions où il est permis de déambuler comme dans un labyrinthe dont la seule issue possible serait par les airs, par une élévation
quasi mystique que confèrent ces pièces musicales dont les reflets sont striés d’une lumière mystérieuse. Le chant de Anne Careil vous soulève plus d’une fois, beau et poignant comme sur le
magnifique Zanne Nel Velluto quand, au bout de cinq minutes trente-trois et une seconde de blanc, une partie totalement différente se révèle sous les sonorités d’un orgue, de ce qui ressemble à
la mélopée d’un violon, annonçant un chant liturgique céleste à faire chialer et se croire chez Dead Can Dance. Un chant toujours aussi troublant, en italien mais universel avant tout, aux
intonations et jeux de langues variés, jusqu’aux miaulements légèrement crispants sur La Visite Aux Animaux Plâtrés, un chant qui enveloppe, berce, se durcit, aiguise les sens et porte sur son
dos ailé le message d’une musique multiple qui amène à la transe à travers des éléments rock, expérimentaux, symphoniques, électroniques et bien d’autres germes qui les entourent quotidiennement
et ont nourri ces morceaux envoûtants, intemporels, aux mélodies obsédantes et aux rythmiques/mécaniques aussi primitives qu’inventives.
L’aventure Rien Virgule est hélas très certainement terminée. Il reste pour l'éternité deux albums uniques, originaux, des concerts qui étaient de
véritables expériences sensorielles, une parenthèse enchantée et tragique qui a fait un bien fou.
SKX, Perte et Fracas
Un premier album sensationnel, puis quatre ans de silence (le temps pour King Gizzard de sortir sept LP) :
Rien Virgule a travaillé le mystère avant de réapparaître avec un album roc qui tient davantage de la pierre de touche que du sac de gravillons décoratifs vendu chez Casto.
Sans faire de bruit, une feuille de l’éphéméride déchirée après l’autre, le moment approche où un chimpanzé réécrira in extenso le Necronomicon sur
une antique version de Word. Que le prodige ne vous effraie pas : on en fera simplement une jolie édition poche couverture souple avec une maquette tendance, une aide du CNL et une préface
de Pacôme Thiellement qui causera Lovecraft, Pierre Boulle et Dorgelès. Et puis on passera à autre chose, évidemment.
Parmi les autres gros titres des infos du futur, il y a aussi cette certitude garantie sans fake news : les silex ont de l’avenir. Dixit
Einstein : « je ne sais pas comment se déroulera la Troisième Guerre Mondiale, mais je peux vous dire ce qu’on utilisera pour la Quatrième : des cailloux ! » Investissez dans
la pierre, on en fera des cœurs artificiels. Un pronostic post-nuke que le Suisse le plus célèbre du monde (2e : Federer, 3e : Henri Dès) n’est pas le seul à exprimer. Avant même qu’un
affairiste sans vergogne n’aie l’idée d’accaparer toute la calcédoine de la planète, les Dordognais.es de Rien Virgule proclament eux aussi Le Couronnement des Silex.
Intrépide malgré la fièvre
Publié grâce à l’heureuse collaboration de trois petits labels underground (La République des Granges, Permafrost et Zamzam Records), le successeur
de Trente Jours à Grande Echelle (dont on vous avait parlé ici) joue sur la même tension âpre et incantatoire. Si, dissipation de l’effet de surprise oblige, on le placera quelques dixièmes de
point en-deçà de son inclassable devancier, Rien Virgule continue de donner dans la farouche démonstration de style, fier prétendant aux premières positions de ce classement imaginaire
répertoriant les disques les plus hantés et les plus singuliers issus de l’Hexagone 2019.
Car ne vous y trompez pas : ce n’est pas parce que ce disque invite à une cérémonie qu’il est dans ses projets de vous proposer un strapontin
et d’écouter un Stéphane Bern tout mielleux et collet monté palabrer de la généalogie sang-bleu ou des coucheries du prince de Galles. À des années-lumière de ce concentré d’ennui offert par les
oiseux de mauvais augure, Rien Virgule préfère manigancer un fameux piège sonore, qui éveille l’imagination – messes rouges et magies sombres. Faites gaffe où vous marchez : tout ceci finira
mal ; et si vous avez dans l’idée de vous accoler une épitaphe, vous feriez bien d’en informer le marbrier avant que la note ne vous soit présentée (c’est déjà trop tard).
S’avançant drapés de l’étoffe dont sont faits les cauchemars des nuits trop noires ou trop blanches – jamais dans la bonne case, en tout cas, les
cinq morceaux de ce disque menaçant et insidieux savent libérer, le moment venu, quelques colères fantastiques (Tactile). La colère des dieux se manifeste dans son éclat orageux ; des
bourrasques maximalistes à faire plier en deux les certitudes ordinaires, déjà sapées par la subtile corrosion des thèmes synthétiques, des petites mélopées pernicieuses et des cris distordus des
damné.e.s.
Vous pouvez ajouter à tout ça le chant italophone d’Anne Careil – également autrice de la pochette. Une voix qui prend de multiples inflexions,
allant des miaulements suppliants à la face du destin inflexible (La Visite aux Animaux Plâtrés) au lyrisme opératique d’une Cassandre entonnant un requiem avant le déluge de chrome incandescent
(Zanne Nel Velluto), en passant par quelques minauderies enjôleuses avec maladresse (La Peau Noire) ou l’ébahissement désorienté d’une gamine déguisée en chevalier au milieu des éboulis
(Tactile). Et, toujours, ce sentiment qu’elle se fait la conteuse d’un monde disparu ayant laissé, dans une langue oubliée, une poignée de mythes prophétiques et de malédictions propres à
souffler l’orgueil du présent. Une puissance vengeresse au double visage : côté pile, un mystère sourd et délétère (Zanne Nel Velluto, Mariage des Pôles) côté face, une Toute-Puissance
annihilatrice à l’implacable tranchant (La Peau Noire).
Pensez à un Can façon orchestre occulte, à Nico en visite chez White Noise
Rien Virgule, ce n’est pas rien – point.
Bref, Rien Virgule prouve qu’il y a de la suite dans ses idées fixes, déjà maintes fois éprouvées lors de concerts brutaux, habités et cinglants. La
batterie est martelée à coups de micros ; l’instrumentarium tout synthés et électroacoustique – hop, les guitares au placard ! – fait trembler les salles et les caves sur leurs
fondations, dans des lumières de giallo ; on ressort de là avec les muscles en pâte à modeler, épié.e par deux gros yeux jaunes et perçants – à moins que ce ne soit des étoiles, ou des
drones de la police, j’ai du mal à suivre. Ça donne dans les grandes orgues, les mélodies entêtantes, les résonances impressionnistes, à la fois bruitiste et baroque, primitif et futuriste. Idem
pour ce “Couronnement des Silex” : gros caillou dans la chaussure de nos marches forcées, ce royaume minéral a les couleurs sinistres et chatoyantes qu’on ne prête d’ordinaire qu’aux saisons en
enfer et aux cathédrales incendiées. Rien Virgule devrait jouer à Pompéï une nuit de Samain : ça distrairait les momifié.e.s des échos de Rose Floyd et son chien.
Pensez à un Can façon orchestre occulte, à Nico en visite chez White Noise. Pensez à Klaus Nomi engagé comme premier rôle dans Les Documents
interdits de Jean-Teddy Filippe. Pensez à Goblin et au sang fluo et pâteux qui coule sur les victimes de Suspiria. Pensez à tout ça, et oubliez. Face à ce monolithe aux rudes gravures, pourquoi
se contenter d’un dictionnaire des synonymes trop approximatif ? Pourquoi, surtout, se contenter de ce papier ? Trop de mots ! Aucun sabir ne vaut le passage du diamant dans ses
sillons : il vous laissera blême et effaré.e dans le tertre des âmes, à demi-amoureux.se de la fin de toute chose, tandis que les grenouilles verdâtres coasseront au loin.
Sur ce, je vous laisse : il faut que je vérifie si mon chimpanzé a bien appris son Abdul al-Hazred.
Rien Virgule // Le Couronnement des Silex // La République des Granges, Permafrost, Zamzam Records // Sorti le 20 avril 2019
Guillaume Bernet, Gonzaï
Il est temps d’écrire sur un disque que j’ai laissé trop longtemps de côté. Il faut dire que « Le Couronnement
Des Silex » de Rien Virgule ne dévoile pas tous ses mystères sur une première écoute. Il faut partir, revenir, s’attarder, ne pas se forcer pour y découvrir la beauté de ces compositions
dont le travail sonore semble à la fois improvisé, expérimental et viscéral. Les sons produits par les synthétiseurs sont assez bruts, la voix d’Anne Careil est un mélange de tessiture fascinant
et la rythmique passe de la sophistication du jazz aux percussions primitives dans un même morceau. Un geste qui m’évoque toute la tension qui tient entre ces instruments.
Je ne m’inquiète pas trop si je ne comprends pas toutes les pistes mélodiques de Tactile. Au début, j’ai l’impression d’entendre la bande-son d’un
film d’horreur, un truc sorti dans les années 80 avec un tueur maniaque filmé par Dario Argento, mais on passe très vite à autres choses quand le chant démarre vers 1 minute et trois secondes.
Les sonorités électro-acoustiques ainsi que les rythmiques primitives et répétitives font progresser le morceau vers une sorte d’art brut qui vous prend par la gorge pour ne plus jamais la
relâcher. L’approche est encore plus frontale sur la deuxième partie du morceau, le quatuor creuse la même idée musicale jusqu’à son épuisement naturel.
Je ne me souviens plus très bien ce que j’écoutais quand j’ai découvert « Le Couronnement Des Silex » mais ce n’est plus très important maintenant.
La profondeur sonore de ce disque mérite bien que j’y revienne de temps en temps, ne serait-ce que pour y remarquer quelques détails supplémentaires que j’aurais forcément ratés. Comme tous les
nouveaux langages musicaux il est normal qu’ils nous échappent, et parfois il ne sert à rien de trop les analyser en écrivant le mot de trop.
Mathieu Gandin, Random Songs
Trente jours à grande échelle
"Après quelques concerts qui ont littéralement retourné tout le monde l'année dernière (notamment l'auteur de cet article), les dordognais Rien Virgule viennent de sortir un album à la croisée des undergrounds avant-rock, contemporains, improvisés, bruitistes et avant-garde. Et surtout, ils repartent en tournée : ne les loupez pas si ils passent près de chez vous, ceci est un vrai conseil d'ami.
Co-édité par une poignée de labels DIY qui empêchent la musique de s'endormir mollement dans ses pantoufles, ce Trente Jours A Grande Echelle est peut-être l'un des disques les plus organiques qu'on ait écouté depuis longtemps, et le fait de les avoir vus en concert n'a pas été étranger (une fois n'est pas coutume) à ce réel plaisir d'écoute.
Rarement, en effet, nous aura-t-il été donné à voir et à entendre des musiciens jouer autant avec les entremêlements de textures : on a du, par exemple, se concentrer à plusieurs reprises sur leurs gestes pour isoler les sons des synthétiseurs home-made impressionnants (et magnifiques) de Jean-Marc Reilla de ceux de la batterie de Mathias Pontévia, qui, en remplaçant ses baguettes par des micros et en flirtant avec les amorces de résonances de feedback, inventait sous nos yeux ébahis un nouvel instrument. Idem pour le chant et le clavier de Anne Careil, dont la radicale singularité pourrait la rapprocher d'une Meredith Monk ou d'une Maja Ratkje et qui, avec les synthétiseurs de Manuel Duval (de France Sauvage, Pousse Mousse et Nouvelles Impressions d'Afrique) finissent de lier l'ensemble vers quelque-chose de flippant-fascinant, de férocement rock, expérimental et folklorique, mais surtout de frontalement électronique, vivant, contemporain et intimement bouleversant."
Fred Landier pour The Drone.
Trente Jours À Grande Échelle – LP
(Animal Biscuit, La République Des Granges, Attila Tralala, Permafrost, Les Potagers Natures, Phase !, Do It Youssef, MicrOlab 2015)
"Le disque de Rien Virgule tourne depuis plusieurs semaines sur la platine mais rien ne vaut un concert pour (essayer de) tout comprendre, d'assembler les différentes parties du puzzle d'une musique se jouant des convenances et des étiquettes, associer l'ouïe et la vue pour percer le mystère. Le concert, c'était deux jours plus tôt, un dimanche soir au Terminus. Un groupe en provenance de la Dordogne avec un nom bizarre qui, à part rappeler certaines dépêches cocasses de journaux locaux, ne fait qu'épaissir l'énigme. Rien Virgule, circulez.
D'abord une histoire d'instrumentation. Des synthés, trois en tout, du fait maison avec plein de raccordements et de liaisons inédites pour des sonorités uniques. Un batteur qui frappe avec des micros. Et le chant singulier de Anne Careil dans une langue incompréhensible qui se révèle en fait être de l'Italien. Je ne l'aurais pas deviner tout seul si je ne l'avais pas lu dans cette interview (où vous apprendrez aussi d'autres infos sur leur orchestration très personnelle).
Et puis une histoire d'ambiances. Car Rien Virgule ne se contente heureusement pas de triturer des boutons et d'improviser sans idée directrice. Le quatuor donne du corps et de l'âme au bruit. Les six longs titres de Trente Jours À Grande Échelle dépeignent des paysages désolés, transportent vers des contrées funestes à l'instar d'un Father Murphy, élargissent le champs d'horizons qui pourraient se révéler très électroniques avec tout cet attirail mais sonnent étrangement vivant et naturel, sauf sans doute sur le dernier titre Des Punks sur nos Caillebotis. Les compositions peuvent alors s'élever dans un monde parallèle, devenir poignantes (Trafic de Masques), les modulations alternent le chaud et le froid, les ambiances sombres et spacieuses s'étirent et les mélopées vocales jettent le trouble. Une transe inconsciente devenant magnétique au fil des écoutes mais encore plus évidente en concert.
Sur scène, tout y est plus intense, rythmique, magnifié. Notamment le batteur (Mathias Pontévia) quand il saisit des micros pour taper sur les toms basses, ça devient tribal, les cymbales volent, les frottements sont inquiétants, prenant ainsi une dimension supérieure qu'il n'a pas sur disque. Les deux types aux synthés (Manuel Duval et Jean-Marc Reilla) ne restent pas bêtement stoïques devant leurs machines. Ils oscillent intensément au gré des variations de leurs installations-synthés, hurlent parfois dans un micro, tout comme la chanteuse (elle aussi derrière des claviers) dont la radicalité et l'originalité de sa déclamation finissent par propulser Rien Virgule dans des univers aussi déroutants que captivants. Le dernier morceau du concert vire d'ailleurs carrément noise et industriel, aspect que n'a pas spécialement le disque, plus sage et moins bruitiste. Ça pourrait ressembler à un regret mais Trente Jours À Grande Échelle reste un album à vite découvrir tout en préférant pour l'instant sa représentation scénique."
SKX (23/02/2016), Perte et Fracas.
"Grande claque aussi avec Rien Virgule de Bordeaux pour une pièce unique et haut de gamme, une écriture dans le son et l’usage de l’outil, la sculpture de la vibration, la charge du bruit, une expérience inédite pour une aventure en clair obscur et sans temps mort. L’émotion omniprésente se glisse dans l’architecture du son, l’utilisation déviée des instruments pour en tirer des sensations inédites ; il est impossible de sortir intact de l’écoute de cette pièce. Nous sommes dans de la musique contemporaine et de l’humain, de la Vie…"
Doc Pilot.
"Pour mon dernier article de 2015, j'aurais pu finir dans une ambiance festive de fin d'année, mais j'ai préféré une ambiance glauque de fin du monde avec le premier album de Rien Virgule, "trente jours à grande échelle".
Ce disque est l'album le plus déglingué et le plus addictif de cette fin d'année. Pour sortir ce nouveau projet de Manuel Duval (Pousse Mousse, France Sauvage, Nouvelles Impressions d'Afrique...), la crème des labels underground se sont associés (Potagers Natures, Attilla Tralala, MicrOlab, Phase!, Permafrost, Animal Biscuit et Do It Yourself).
Difficile de décrire ce disque qui oscille entre bruitisme, claviers apocalyptiques et oppressant et voix féminines possédées. Radicale, avant gardiste et viscérale, la musique de Rien Virgule vous emmènera dans l'inconnu sonore. Sûr qu'un tel disque laissera beaucoup de gens de marbre, mais pour ceux qui en saisiront les mystères, "trente jours à grande échelle", sera pour vous une expérience unique qui vous ne laissera pas indemne."
Alternative radio.
Dans le cadre du Sonic Protest – festival parisien de fabuleux défricheurs, courant les deux premières semaines d’avril –Hartzine s’est porté volontaire pour anoblir une poignée de groupes du festival, et pas forcément les plus médiatisés.
Initialement, chaque texte devait mettre en avant un morceau de chaque groupe, et évidemment, comme toute saine entreprise, ça déraille dès la première tentative : on a beau avoir essayé, il est virtuellement impossible de détricoter Trente Jours à Grande Échelle, le premier album des Bordelais de Rien Virgule – dont on a déjà pu croiser certains membres à travers France Sauvage, Nouvelles Impressions d’Afriques ou même le Cercle des Mallissimalistes. Impossible de ne pas présenter l’album autrement que comme un ensemble de lourdes sentences s’arrimant à merveille sur une âme innocente.
Trente Jours à Grande Échelle est un album diablement déstabilisant. Rarement l’impression de parcourir une route n’a été aussi forte : un sombre sentier aux allures menaçantes, une atmosphère grondante recouvrant un indescriptible amas de sons menant sans ménagement aux plus ténébreux souterrains de la damnation. Ce tourbillon de sonorités fameusement ombragées laisse pourtant indiquer une direction. C’est-à-dire que la musique de Rien Virgule se met en mouvement vers quelque chose, un point de haute voltige, un mont à gravir, seulement, le quatuor bordelais ne cesse d’user d’arides mises en forme pour y arriver, mais – et c’est là que réside toute la force du groupe – avec un équilibre toujours suffisamment bien pesé pour ne jamais s’abîmer dans l’obscure caverne de l’abstraction.
Un cadre enrobe cette musique, une logique la fait avancer vers un objectif fixe, une sourde tension l’habite, quelque chose de mystique, d’imprévu, de fatal et décisif. Tout est réglé au millimètre et semble s’orchestrer au service de ces paroles italiennes, avec quelle souveraineté le chant d’Anne Careil vient escalader les tailles escarpées libérées par les synthétiseurs de Duval et Reilla, solennellement soulevés par la batterie de Matthias Pontévia. Anne Careil a cette façon divine d’asséner d’une auguste attitude une suite d’inévitables vérités, cette voix qui s’impose à la fois contre cette masse grouillante et vivante de notes, de souffles et de raclements, mais qui l’accompagne également, en la dirigeant impérieusement vers un ultime lieu de culte.
Tout concourt à transmettre cette façon de transe, à s’élever au plus intense des rituels, à définitivement s’acoquiner à l’occulte : Rien Virgule possède cette science secrète de l’infini, cette impénétrable détermination qui laisse le regard tout avaler à travers des cercles de feu. Le groupe, avant la sortie de ce disque, n’a cessé de retourner les têtes lors de ses prestations live, et c’est véritablement là qu’il faut les capter. En tournée le mois prochain, les Bordelais s’arrêteront à Paris le samedi 2 avril à l’Archipel avec N.M.O (comprenant notamment Morten Olsen, des bons malades de MoHa !), dans le cadre du festival Sonic Protest, pour défendre cet impressionnant premier album. Nous y serons !
Sebastien Falafel pour Hartzine
C’est ensuite au tour des très attendus Rien Virgule de venir jouer. Le Terminus se pare alors d’un décorum bichromatique rouge et bleu qui va apporter une superbe ambiance de Giallo parfaitement raccord avec la musique du quatuor dordognais. Jean-Marc Reilla et Manuel Duval (de France Sauvage, Pousse Mousse et Nouvelles Impressions d’Afrique) flanquent l’avant-scène derrière leurs impressionnants synthétiseurs customisés de ressorts et lames métalliques et autres boîtes de Pandore débordant de câbles électriques. Mathias Pontévia et Anne Careil sont eux tapis dans la pénombre écarlate du fond de salle. Lui est assis derrière une étonnante batterie dotée d’un énorme tom d’orchestre et de gargantuesques cymbales, elle, est installée derrière des claviers. Comme sur leur épatant album Trente Jours à grande échelle, ils ouvrent sur l’atmosphérique Igloo Dentelle. On adorait déjà la variété et l’ampleur du disque mais en live c’est encore une tout autre histoire. Premier choc, le jeu de batterie de Mathias Pontévia s’avère aussi spectaculaire que fascinant. Extrêmement puissantes, ces rythmiques savent aussi se faire retorses et subtilement dissonantes. Il abandonne même parfois ces mailloches pour frapper les peaux ou les cymbales avec un micro, en captant à la suite des chocs d’étonnantes vibrations fantomatiques. Ces compagnons de scène ne vont pas se montrer en reste en matière d’intensité. Jean-Marc Reilla et Manuel Duval rivalisent de diaboliques boucles de synthés et multiplient les sonorités les plus envoutantes avec une fièvre communicative tout en tanguant comme sous l’orage derrière leurs machines. La perle noire de la bande est pourtant la voix profonde et évocatrice d’Anne Careil dont les incantations possédées dans la langue de Dario Argento achèvent de rendre le tout absolument tripant. Après un second morceau tout en ambiances électriques et sépulcrales, les choses vont s’emballer sur un Trafic de Masques tribal et incantatoire qui enflamme un Terminus plein comme un œuf. A partir de là, la bande ne va cesser de monter en puissance vers d’infernaux délices. Le monstrueux et cosmique Stella Cannibale est suivi de L’épouse des Congères, dont les notes orientales déglinguées et le chant vacillant transforment le bar en un vertigineux asile d’aliénés pékinois. Comme le disque, le concert s’achève sur l’hypnotique et abrasif Des Punks sur nos Caillebotis. La ritournelle de flûte du morceau transpercée de réjouissantes explosions de larsens accompagne une montée vers des rythmiques de plus en plus indus et bruitistes qui nous laissent pantois et ravis.
Le quatuor a donc réussi l’exploit de magnifier en live les subtilités et la puissance de leur disque. Bravo à eux et rendez-vous au prochain Tapette Fest pour ceux qui ont loupé cette immanquable expérience.
Mr. B / Alter1fo
Étonnant. J'aurais pas misé un kopeck sur le fait que les gaziers étaient français (et encore moins bordelais sans vouloir être médisant). Rien Virgule, c'est un peu comme parcourir un cinéma bis désenchanté sur fond d'incantations et de psalmodies italiennes. Trente jours à grande échelle est au carrefour entre la musique purement synthétique, la musique profondément rituelle, l'ambiant et l'apo folk. En gros, de la musique sacrément visuelle.
Premier contact angoissant, les claviers et les samples du quatuor jouent avec les climax. L'Epouse des congères entame la ballade funeste par des cliquetis de machines pour virer sur une langoureuse valse organique et moribonde pendant que la voix agonise en récitant ses mantras. Le morceau continue sur une douce mélopée en aggravant le côté mortuaire.
Les titres sont absurdes, les arrangements sont glaçants, Rien Virgule pose une ambiance de fin du monde pendant la grosse demi-heure qui compose le disque. La machine se met en branle pour ne jamais s’arrêter avant la fin. Le choix des sonorités claviers rappelle tout un pan du cinéma italien. Musique synthétique et orchestrations déjantées font bon ménage, le tout saupoudré de cette voix nous arrachant à notre léthargie dès le début.
Énorme travail sur les ambiances et sur les sonorités. Un disque tranchant, mais aussi tranché sur les cassures au sein même des morceaux. On est parfois soufflé par l'évolution de certaines nappes (le final exutoire d'Igloo dentelle, qui enchaîne sur le presque Dead Can Dance Trafic de masques).
Rien Virgule livre donc ici un disque passionnant, à la fois BO d'un mondo imaginé saupoudré d'un aspect synthétique rappelant clairement les débuts du label 4AD, avec un hommage à la musique apo des années 90.
Un disque qui a vu le jour je l’imagine difficilement, vu le nombre de structures qui semblent avoir collaboré pour sa sortie (La République Des Granges, Les Potagers Natures, Permafrost, micr0lab, Animal Biscuit , Do It Youssef !, Attila Tralala, Phase! Records ).
Disque de la chair, mais aussi du sang, à savourer en dansant autour du feu un verre de sang de vierge à la main.
Bertrand pour Superflux Webzine
Un ressenti à propos de « Trente Jours à Grande Échelle » (RIEN VIRGULE, LP, 2015)
Ce
n’est pas une critique, c’est un ressenti. Ne sachant trop par quel bout prendre ce disque, j’ai laissé divaguer mes doigts sur un clavier qui ne demandait qu’à être l’intermédiaire entre mes
enceintes et les Internets mondiaux dont je suis un infinitésimal contributeur. Bref, ne vous attendez pas ici à du renseignement précis, ou de la prose inspirée selon les canons de la critique
musicale, ça va partir un peu dans tous les sens (non, pas dans ce sens là …).
Soit. On connaissait Rien, de Grenoble, disloqués il y a deux ans. Il va désormais falloir s’acoquiner avec Rien Virgule. Sorti grâce à une collaboration entre pas moins de six (!) labels
indépendants (parmi lesquels, coucou local, les Bordelais de Permafrost), leur premier LP Trente Jours à Grande Échelle est une gemme fascinante. Du genre brillant, et un peu inquiétant ; on
redoute la malédiction, comme d’une relique revenue des limbes.
C’est un pur produit de l’underground. « L’underground de l’underground », a même renchéri Fred Landier (alias Rubin Steiner pour ses œuvres musicales) dans son papier sur The Drone. Et
à vrai dire, tant mieux ; je me demande comment les manutentionnaires de la Fnac aurait rangé cet album-là dans leurs rayonnages. Car cet album-ci a quelque chose d’inclassable. J’ai caressé
l’envie de développer leur rattachement (avec Heimat, Jacques, Moodoïd, Le Cercle des Mallissimalistes, et quelques autres) à une famille spirituelle hexagonale que j’aurais désignée comme celle
des « Nouveaux Étranges »[1]. J’y ai assez vite renoncé, par flemme, par difficulté à trouver l’angle adéquat et par crainte d’écrire des conneries encore plus énormes que l’ego de
Maître Gim’s. Je continue quand même à trouver la prémisse intéressante : Rien Virgule sont vraiment des « Nouveaux Étranges ».

Et leur étrangeté, inquiétante, invocatrice, insaisissable, donne envie de partir derechef pour l’Italie. Pas pour profiter de l’ensoleillement des plages adriatiques où s’ébattent les lolitas ;
mais pour se soumettre, dans l’obscurité aux reflets rougeoyants, aux rites ésotériques de magiciennes aux seins nus dont les lèvres peintes délivrent des baisers empoisonnés. Une Italie
mystérieuse, belle, crasse, trouble, occulte.
Peut-être en fais-je trop sur la sensualité menaçante de ses psalmodies italophones, pareilles aux moments choisis d’un giallo savoureux, mais nous sommes face à un album véritablement
fantastique ; à la fois un disque racé, agréable, et créateur d’images, de sensations. Voilà six vignettes de cercles dantesques, à prix très modique. Je vous parie que le disque s’arrachera à
prix d’or d’ici une petite vingtaine d’années, lorsqu’on s’apercevra que, bien plus que la passagère sensation du mois, il s’agit d’une des tentatives les plus fascinantes de l’underground d’ici.
Du culte à venir.
Pour ceux qui ne pourront se procurer l’objet, voilà son Bandcamp ; une fenêtre ouverte sur un autre monde. Voilà. Fin du blabla foutraque, et bonne écoute à tous !
Du Bruit Qui Pense